jeudi 7 juin 2012

Le spectacle de Benkirane



                Pour la première fois à ma connaissance, un chef du gouvernement fait appel aux chaînes publiques et au direct pour s’expliquer sur sa politique et les décisions prises par son gouvernement. Le catalyseur de cette initiative étant la récente hausse des prix du carburant.

                Il faudrait avouer que c’est une initiative à louer : Que l’on soit partisan ou non du gouvernement et de ses décisions, on a attendu le rendez-vous avec impatience. Cela a revigoré l’intérêt du marocain à la chose politique. On recommence à discuter, à critiquer, à argumenter et à suivre les réactions du gouvernement et de l’opposition. Tant mieux, l’intérêt pour la politique a toujours été l’un des préceptes du civisme.

                Venons-en au contenu. Un blâme est à adresser en premier lieu aux journalistes. Leur prestation était fade et ils ont été facilement dépassés par Benkirane. Les questions posées étaient rares, sans pertinence et annoncées avec une telle lassitude … À un certain moment, on commençait même à complimenter et à cajoler le chef du gouvernement ! C’était une tirade et non une émission politique.

                Comme à l’accoutumée, on a retrouvé Benkirane avec son style incontestable. Après une vulgarisation de la caisse de la compensation et de ses mécanismes, le chef du gouvernement s’est mis dans une scène mythique à annoncer les prix des bananes, tomates et autres légumes au sein d’une région du pays. Cela sera suivi de quelques coups par-ci et par-là pour les journalistes et des spéculations sur l’avenir politique du Maroc. En résumé son discours est un mélange subtil de populisme, d’arguments crus et de cavalcades en dialecte marocain. Une fonte dont le résultat dépend de l’objectif auquel elle reste déployée …
                Le contenu, c’est là où le bât blesse. Benkirane s’est mis encore une fois à chanter la chanson de l’exception marocaine, de printemps arabe avec la nouvelle constitution et de secours de la nation par le souverain. Le discours reflète une confiance « aveugle » dans la monarchie et sa volonté présumée de réforme. Attitude que l’Histoire du Maroc a montré erronée à toutes les occasions. Le deuxième point est un manque sévère de vision à long et à moyen terme. On est loin du discours politique basé sur des statistiques et des prévisions. Les seules statistiques présentées sont celles établies après une telle ou telle étude sur la situation actuelle. Aucun chiffre cité ne concerne une anticipation d’une décision envisagée.

                Il est bon de compter sur la volonté divine, mais il est encore meilleur d’élaborer des plans, d’avoir des programmes bien rodés et de posséder une vision claire pour la durée de son mandat. Ce n’est pas seulement meilleur, c’est une nécessité quand on est le chef du gouvernement. Autre reproche : dans sa méthodologie, Benkirane ne s’attaque pas aux grands chantiers. Si l’on recherche des fonds pour la caisse de l’état, il est nécessaire de récolter les impôts et de réduire les dépenses de l’état. N’empêche que l’on oublie par cela les grands rentiers, les fonctionnaires-fantômes, la taxe sur la richesse délaissée … Durant ces temps de crise, parait-il normal à l’honorable chef du gouvernement que le budget alloué au palais et à son protocole reste si énorme que cela ? Parait-il normal à l’honorable chef du gouvernement que des hauts fonctionnaires puissent encore toucher des primes exorbitantes au détriment du contribuable marocain ?

                Le discours des poches de résistances et de la progression dans le réformisme commence à s’épuiser. Si l’on doit mener une réforme, cette dernière devrait être globale et s’attaquer au fond et à la source du problème que sont les prérogatives de la monarchie, l’étendue du pouvoir du gouvernement et les bonne gens du makhzen. Rester à justifier des décisions prises au détriment des citoyens ne fera que perdre la crédibilité au PJD et le tournera en une risée devant le peuple. Le discours de Benkirane pourrait être utile, pourrait lui servir pour l’instant, pourrait avoir un effet soporifique et divertissant pour le marocain. Mais durant ce temps-là, n’oublions pas que nous aurons raté le printemps arabe et l’occasion de déclencher des réformes bien plus audacieuses qu’une réforme biaisée de la caisse de compensation.

samedi 2 juin 2012

La compensation, le carburant et le marocain


                La nouvelle est annoncée le soir, à quelques heures de son entrée en vigueur : Les prix d’essence et du gasoil  connaitront une augmentation. Vous devrez désormais débourser deux dirhams de plus pour le litre d’essence et un dirham de plus pour le gasoil.

                Jusqu’à présent, la caisse de compensation a joué le rôle de garde-fou pour la grogne sociale en subventionnant le sucre, la farine, le carburant et le butane. Cependant, le coût de ces subventions est bien trop élevé, surtout dans un contexte mondial de crise. L’année dernière, ladite caisse a dévoré la coquette somme de 52 milliards de dirhams. De par sa situation, ce gouffre a toujours sollicité une réforme urgente afin de calibrer ses dépenses, chose que le gouvernement Benkirane affirme entamer dans les prochaines semaines.

                La couleur de cette réforme vient donc d’être annoncée : l’augmentation des prix en sera le pilier apparemment. Najib Boulif, ministre des affaires générales et de la gouvernance a récemment affirmé  que la taxe sur la richesse ne sera pas adoptée. Le prétexte est une « anxiété » vis-à-vis de la fuite des capitaux et des investissements … Argument qui cache l’incapacité totale du gouvernement Benkirane à instaurer cette taxe. Encore faut-il qu’il ait l’autorisation et la bénédiction du vrai centre du pouvoir : la monarchie et ses conseillers.

                Mais si l’on ne peut pas taxer le riche à cause de son pouvoir et de son lobby, si l’on ne peut pas stopper les mastodontes de la rente et qu’on vient de consommer 80% des 32 milliards alloués à la caisse de compensation au titre de cette année, qu’allons-nous faire ?

                La solution est facile, tournons-nous vers l’ « homo pauvrilus », le pauvre. Augmentons les prix et laissons le payer, lui au moins il est impuissant. S’il lance ses griefs, il n’aura qu’à tendre ses bras vers le ciel et prier le divin. C’est la formule conseillée par l’honorable chef du gouvernement en personne. Sérieusement, sachant que 90% des subventions du gasoil vont au transport en commun ou des marchandises, cela induira une hausse des prix des denrées nécessaires au citoyen marocain. Son pouvoir d’achat se verra encore réduit à la quelques semaines du Ramadan, mois où les fluctuations du prix des tomates deviennent le premier souci de millions de marocains. Les chauffeurs des petits et grands taxis se verront eux aussi contraints d’encaisser cette augmentation.

                Délaissons cela et jetons un regard plus profond sur les dédales de cette caisse. L’un des exemples les plus flagrants de son dysfonctionnement est la subvention réservée au butane. Avec la subvention, le marocain débourse 10 dirhams et 41 dirhams pour les bonbonnes de gaz au lieu  de 31 et de 123 dirhams. Cela est parfait me diriez-vous, mais seulement jusqu’à ce qu’on sache que 82% de ces subventions vont nécessairement aux entreprises et aux riches. Certains ont délaissé l’usage du propane non subventionné au profit du butane. Avec le montant énorme de la subvention, vous pouvez imaginer l’augmentation qui résulte sur la marge du gain.

                Bref, ne nous étonnons guère. Car comment pourrait-on demander à un gouvernement qui échoue lamentablement dans l’affaire des cahiers des charges et qui se rétracte à publier la liste des grands rentiers du Maroc d’instaurer une taxe sur la richesse et de réformer courageusement ce système de compensation ? D’ici-là, l’ « homo pauvrilus » continuera à encaisser … jusqu’à un jour.